Roger Seiter : "C’était pour moi un superbe challenge d'écrire une aventure de Lefranc"
Après Régric, c'est au tour de Roger Seiter de répondre aux questions d'Alix Mag' pour la sortie de "Cuba libre", le nouvel album de Lefranc .
Une interview réalisée par Raymond Larpin, illustrée par les crayonnés et les dessins de Régric pour "Cuba libre"...et "La grande Menace"!
Roger Seiter
"Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été attiré par l’image. Tout gamin déjà (je devais avoir environ trois ans), je passais des journées entières chez ma grand-mère à regarder la collection du « Journal de Mickey » de mon oncle et à feuilleter les albums de Christophe piqués dans la bibliothèque familiale (entre autre, « Les Malices de Plick et Plock »). Dès que j’ai su lire, j’ai dévoré tout ce qui me tombait sous la main. Beaucoup de romans d’aventures, mais aussi énormément de « Petits Formats » comme « Blek le Roc », « Kiwi » ou « Akim ». Et mes cadeaux d’anniversaire ou de Noël étaient souvent des albums BD. J’ai donc toujours eu ce goût pour les histoires en images et quand, adulte, j’ai eu envie de composer mes propres récits, c’est tout naturellement vers la bande dessinée que je me suis tourné.
Je suis alsacien et je suis né en 1955. Enfant, j’ai dévoré « La Grande Menace » et je possède toujours mon exemplaire en édition originale. Il y a dans l’album une scène qui se passe au château du Haut-Koenigsbourg, château que je visitais avec mon père au moins une fois par an (je continue d’ailleurs encore aujourd’hui – j’y étais encore il y a quinze jours). Cet album m’a passionné, tout comme « L’ouragan de Feu » quelques années plus tard. Mon père, grand amateur d’histoire, m’achetait également les albums d’Alix. Et plus tard, j’ai dévoré avec plaisir les albums de Jhen, d’Arno et de Loïs. Bref, je baigne dans l’univers de Jacques Martin depuis très longtemps et je n’ai pas vraiment de série préférée. Je suis entré chez Casterman à la fin des années 90 et j’ai eu l’occasion de rencontrer Jacques Martin à de nombreuses reprises, notamment à l’occasion de salons comme Sierre en Suisse.
D’où est venue l’idée de vous confier un scénario de Lefranc ? Comment se sont passés les contacts avec le comité de Casterman ?
Comme dit plus haut, je suis chez Casterman depuis presque 25 ans et j’ai fait une quarantaine d’albums chez eux. C’est Jimmy Van den Hautte qui m’a contacté l’année dernière pour me le proposer. Cela faisait quelques années déjà que nous évoquions cette possibilité. Et comme j’aimais beaucoup le travail de Régric sur cette série, je me suis laissé convaincre, même si j’avais déjà beaucoup de travail par ailleurs.
Que représente pour vous la reprise d’un personnage de BD aussi connu ? Est-ce que Lefranc vous a posé des problèmes ?
Lefranc, comme Tintin, Astérix, Alix ou Black et Mortimer, fait partie des héros qui ont bercé mon enfance. C’était pour moi un superbe challenge et l’occasion de rendre hommage au travail de Jacques Martin qui, comme d’autres auteurs, a donné à la BD ses lettres de noblesse et m’a conduit à en faire à mon tour. Avant de commencer ce travail, je me suis replongé dans mes albums de Lefranc et je me suis également intéressé plus globalement à la vie et l’œuvre de Martin. Nous sommes nés et nous avons passé notre enfance dans la même région, ce qui n’est peut-être pas sans conséquences. Je trouve que l’Alsace est une région assez particulière qui peut développer plus que d’autres l’imaginaire d’un enfant. Il y a des centaines de ruines de châteaux médiévaux dans les Vosges et au-dessus d’Obernai, il y a l’extraordinaire enceinte du « Mur Païen ». Un mur cyclopéen d’une dizaine de kilomètres de long dont on ne sait pratiquement rien. L’hypothèse d’un oppidum proto-celte est la plus souvent retenue. J’imagine que Jacques Martin l’a visitée enfant. Y-a-t-il un rapport avec Alix ? Pour répondre à votre question après cette digression, non, la reprise de Lefranc ne m’a pas vraiment posé de problème. Mais ce sera au final au public de juger mon travail.
Mur Paien du Mont St Odile (Photo DNA)
Y a t-il un cahier des charges qui définit certaines limites pour les scénarios?
Ne pas trahir l’esprit de la série et les personnages créés par Martin étaient les seules consignes. Mais cela était bien sûr déjà une évidence pour moi. Ensuite, la demande du comité Martin était de faire un récit qui se passait dans les années 50, avec une narration classique.
Sur les planches que j’ai pu voir, j’ai constaté que vous utilisez volontiers les récitatifs, comme le faisait Jacques Martin. Certains lecteurs considèrent ce mode de narration comme vieillot, tandis que les amateurs de BD classique ne jurent que pas cela. Quelle est votre position ?
En fait, il n’y en a pas tant que ça. Dans mes propres albums, je ne suis pas un grand fan des récitatifs (je crois que dans les deux premiers FOG, il n’y en a aucun). Mais les récitatifs font effectivement partie du style Martin et il me semblait normal d’en mettre quelques-uns. Je ne pense pas que cela fasse vieillot. C’est un des outils narratifs dont dispose le scénariste et il me semble pertinent de l’utiliser avec modération dans un récit classique.
les récitatifs font partie du style Martin
Vous avez-eu la bonne idée d’introduire l’écrivain Ernest Hemingway comme personnage de cette aventure. Êtes-vous un amateur de son œuvre ?
Oui, j’ai beaucoup lu Hemingway quand j’étais adolescent. De toute manière, Lefranc se rendant à Cuba en 1958, il me paraissait évident qu’il rencontre Hemingway et que les deux hommes deviennent amis. Il ne faut pas oublier qu’Hemingway était un reporter-baroudeur avant d’être un prix Nobel de littérature. Il a beaucoup de points communs avec Lefranc et on s’en rend compte dans l’album.
Ernest Hemingway
Les aventures de Lefranc relèvent généralement du genre « thriller », parfois de l’énigme policière, et plus rarement de la science-fiction. Dans quelle catégorie peut-on placer "Cuba libre", histoire qui se passe pendant les années 50 ? Peut-on parler d’une BD historique ?
Je dirais plutôt un récit d’aventures. Les ingrédients sont nombreux, entre l’aventure archéologique mystérieuse, le reportage de guerre, les gangsters américains, la CIA et le FBI. Mais c’est un peu les ingrédients qu’on trouve également dans « L’Ouragan de Feu ». Du coup, la présence d’Arnold Fischer, par ailleurs proposée par Régric, s’imposait.
Votre récit expose de nombreux aspects véridiques de la révolution cubaine (rôle de la CIA, de la mafia ou du gangster Meyer Lanski) tandis que la présence du financier Arnold Fischer relève plutôt de la fiction. Les intérêts politiques et financiers s’affrontent. Est-ce l’argent qui mène le monde ?
L’argent mène le monde, mais ce n’est pas un phénomène récent. De tout temps, c’est la cupidité qui a conduit les hommes à commettre les pires débordements. Si on pouvait poser la question aux enfants troyens massacrés par les hoplites d’Agamemnon, ils nous donneraient probablement la même réponse …
Dans les récits de Jacques Martin, on trouve souvent des éléments fantastiques au sein d’un monde tout-à-fait réaliste. Il semble que vous inclinez à faire la même chose dans cette aventure de Lefranc qui évoque un mystère atlante. Croyez-vous à l’existence passée de ce monde légendaire qu’est l'Atlantide ?
Cette histoire de mystérieuse pyramide et cité englouties au large de Cuba circule actuellement sur internet. Comme c’était un thème cher à Martin (je pense à « L’ïle Maudite »), il m’a semble intéressant de l’utiliser. Quant à la légende de l’Atlantide et ce qu’en dit Platon, c’est une autre histoire. Tout ce que je peux dire, c’est qu’elle fait rêver l’humanité depuis des siècles.
Crayonné du présentoire
Quels sont vos projets pour la suite ? Allez-vous écrire un autre scénario de Lefranc ? Si oui, sera-ce un "Lefranc années 50" ?
Oui, tout à fait. J’ai écrit un second scénario qui a été accepté et dont j’ai commencé le découpage. L’histoire se passera en novembre 1959, dans une région du monde où Lefranc n’était encore jamais allé …
Continuerez-vous par ailleurs la série H.M.S., une BD historique et maritime que j'aime bien ?
H.M.S. était un hommage aux romans maritimes anglais dont j’ai été friand il y a quelques années. Entre autre, Forester, Alexandre Kent et Patrick O’Brian. J’ai pris beaucoup de plaisir à créer cette série avec Johannes Roussel. Mais Johannes est avant tout un passionné de voitures anciennes et il est passé à autre chose. Mais il n’est pas dit qu’on n’y reviendra pas plus tard …
Un grand merci pour votre collaboration , Roger!