Pour fêter la très belle réédition de L'Egypte, Rafaël Moralès répond aux questions d'Alain Demaret. Léonardo Palmisano sera lui aussi l'invité d'Alix Mag'.

Votre actualité est la sortie d'un nouveau "Les Voyages d'Alix" consacré à ... L'Egypte ! Nous sommes surpris, on espérait un tome 4, mais nous avons droit a une sorte de tome 1 bis. Pouvez vous nous en dire plus ?
Le tome 4 est prêt depuis un moment déjà, mais Casterman a préféré ne pas le sortir tel que prévu initialement, au profit d'une refonte totale des 4 tomes, les quatre étant mélangés dans deux volumes partiellement inédits. Les chapitres du tome 4 seront donc répartis entre les 2 nouveaux albums. Le premier, "Au fil du Nil", paraît ce 25 septembre et reprend tous les sites de l'Egypte d'Abou Simbel à Alexandrie, avec quelques dessins de Thèbes, Karnak et Louxor. L'an prochain, le deuxième volume étudiera plus en détail cette très riche région thébaine, Karnak et Louxor, mais aussi la Rive Gauche avec la Vallée des Rois, les temples funéraires, etc..
Au départ je dois avouer que je n'étais pas très chaud de mélanger ainsi les 4 albums, surtout avec ce 4 ème tome inédit qui une verrait jamais le jour dans sa présentation classique. Nous avons toutefois obtenu, avec mon co-auteur Léo Palmisano, de disposer de 8 pages en plus et j'ai pu aussi revoir tous les textes, en écrire de nouveaux, et les faire relire et corriger par un égyptologue, Claude Obsomer, de l'UCL, qui signe aussi la préface de l'ouvrage. Beaucoup d'informations, de photos supplémentaires sont ainsi venues enrichir le livre, et j'ai moins l'impression de "forcer" les gens à racheter les 3 premiers volumes qui ont été bien remis à jour. il faut dire que la première édition des Voyages d'Orion sur l'Egypte date de 1992! Maintenant nous ne forçons personne à acheter ces livres, et je dirais aux collectionneurs de bien garder les 3 premiers albums qu'ils ont, car beaucoup de dessins ont dû être réduits dans cette refonte.
Mais à l'arrivée je crois que ce sera deux beaux albums et je veux rendre hommage à l'implication de Leonardo, ce fut un véritable travail de romain qu'il a accompli! Je sais de quoi je parle! Ce n'a pas dû être facile de travailler sur mes croquis et sur un sujet aussi pointu!
D'où vous vient cette passion pour l'Egypte Antique ?
J'ai toujours aimé l'histoire, mais l'Egypte, j'en suis vraiment tombé amoureux en y allant. C'est curieux, mais à Karnak je me suis senti chez moi tout de suite! J'aime l'Egypte antique bien sûr, mais aussi l'Egypte moderne, un si beau pays qui malheureusement traverse des temps bien difficiles. J'espère y retourner bientôt pour continuer à collaborer aux fouilles de l'ULB pour lesquelles je suis dessinateur. Nous travaillons dans la nécropole thébaine, sur une colline improprement appelée Vallée des Nobles. Inutile de préciser que c'est une aventure passionnante!
Comment êtes vous arrivé à travailler pour Jacques Martin ?
Je l'ai rencontré au festival de Sierre, en Suisse. J'habitais Lausanne et il venait de s'installer à quelques kilomètres de chez moi. Je lui ai proposé de dessiner des décors pour lui, il m'a alors confié la réalisation d'un ouvrage sur le tombeau de
Toutankhamon (Editions l'Instant Durable) et j'ai commencé en dessinant quelques décors pour le Cheval de Troie et l'Odyssée d'Alix. J'étais encore étudiant à ce moment-là. Et c'était parti pour une collaboration de près de 20 ans!
Ses exigences et ses sautes d'humeur sont légendaires. Tout comme son désir d'améliorer la technique de ses assistants. Était- ce facile de travailler avec lui?
Pas toujours, il était très exigeant, oui. Mais il savait ce qu'il voulait. Nous nous sommes très bien entendus, même si les dernières années ont été plus tendues. Nous n'étions pas toujours d'accord et j'étais un des seuls à le lui dire. Mais je ne regrette rien, sauf peut-être de ne pas être parti un peu plus tôt. Je sais ce que je lui dois et je veux garder tout le positif de cette trajectoire professionnelle qui m'a tant apporté. Nous avons vécu côte à côte pas mal d'épreuves mais aussi de nombreux grands moments. Cela personne ne pourra jamais me l'enlever.
Il avait émis la volonté que ses héros lui survivent. Avec votre expérience, quel est votre regard sur cette succession de dessinateurs ?
Beaucoup de choses sont allées à l'encontre de ce que Jacques lui-même m'avait enseigné, c'est pour cela entre autres que j'ai préféré m'éloigner et créer ma propre BD -Hotep- tout seul. C'était son droit de céder la gestion de son oeuvre comme il l'a fait, mais c'est vrai que je ne me voyais pas continuer dans les conditions qu'on me proposait. D'autres personnes ne le souhaitaient pas non plus et c'était donc le moment d'en tirer les conclusions pour moi. Je crois avec le recul que j'ai bien fait de partir à ce moment-là. Je ne me voyais pas continuer dans l'univers Martin sans… Jacques Martin! J'ai collaboré trop étroitement avec lui et pendant trop longtemps pour aller dans une toute autre direction. Pour ce qui est des nombreux albums parus depuis 2005 et depuis le décès de Jacques, j'ai mon opinion, mais je préfère la garder pour moi. Je vois des choses sympa ces derniers temps, comme la reprise d'Alix par Marc Jailloux, Lefranc en vintage, c'est pas mal du tout, et j'apprécie beaucoup Alix Sénator, ça rajeunit Alix paradoxalement. Mais jamais Jacques n'aurait autorisé ça. J'en suis certain. Il a répété tant de fois qu'Alix était intangible, qu'il était comme James Bond, qu'il ne pouvait pas vieillir! Je pense néanmoins que c'était une bonne décision de le faire. Dommage quand même que les décors soient quelque peu anachroniques, mais là c'est mon côté pinailleur et archéologue qui ressort! Quand je pense aux recherches que j'avais dû faire pour Roma, Roma!!

Venons en à votre héros, Hotep; comment est il né et pourquoi avoir choisi l'Egypte des Ptolémées (monarchie hellénistique) ?
Je voulais rester dans l'Antiquité, et en Egypte bien sûr, vous l'aurez compris. Pas question d'illustrer l'époque romaine bien sûr, mais une rencontre à Blois avec l'égyptologue Jan-Yves Empereur qui fouille à Alexandrie a été déterminante. Nous avons parlé toute une soirée avec lui et Jacques Martin de la ville des Ptolémées et d'Alexandre le Grand. Ce jour-là a germé l'idée d'écrire une histoire qui se passerait là mais qui montrerait cette période d'un point de vue égyptien. L'arrivée des Grecs macédoniens en Egypte, le choc des civilisations, un thème intéressant. Ce jour-là je ne savais pas que j'aurais l'occasion de le faire un jour, mais l'envie était née.
Hotep, "Les cèdres du Liban". Evocation d'une scène des funérailles d'Alexandre le Grand.
Tout le monde attend la - les - suite (s) ?
Le tome 3, "Les Cèdres du Liban", en est aux deux tiers. J'essaye de le terminer au plus vite, mais j'ai un travail salarié depuis quelque temps, et ça n'accélère pas la réalisation des planches malheureusement. Le tome 3 conclura une sorte de trilogie, et si j'ai plein d'idées et l'envie de continuer, la décision ne m'appartient pas.
Je ne sais plus où j'ai lu que vous aviez écrit un scénario historique sur un "sujet original", mais qu'il était trop tôt pour en parler. Est - il toujours trop tôt ?
Non, on peut en parler, vu que le projet a été refusé partout où nous l'avons présenté. C'est dommage car le projet était sympa et traitait d'un sujet peu abordé, la révolution sud-américaine de Simon Bolivar avec une aventure démarrant en Andalousie, une histoire de vengeance et de rédemption mettant en scène une "héroïne" emportée dans un tourbillon d'événements… Et j'avais un excellent dessinateur qui a fait de très belles choses pour le dossier, Christophe Alvès, qui travaille superbement dans la ligne claire. Mais trop classique, trop franco-belge, ai-je même entendu (je parle du scénario). En tout cas pas dans la ligne éditoriale des éditeurs actuellement. Peut-être que j'aurais dû mettre des zombies? Plus sérieusement, je vais bientôt publier ces dessins
sur mon blog, les lecteurs pourront ainsi se faire une idée.
Le projet "Les chevaux de Bolivar"
Pour terminer, avez vous un souhait à formuler ?
Continuer à pouvoir créer, et pouvoir faire ce que j'ai envie de faire. Paradoxalement, mon travail salarié (qui n'a strictement rien à voir avec la BD) me permet de garder ma liberté de création, même si le temps me manque quelque peu. Mais c'est à moi de l'utiliser à bon escient, j'ai plein de projets, en rapport avec l'Egypte ou pas, des envies d'écriture aussi. Nous verrons bien de quoi l'avenir sera fait, la seule chose dont je suis sûr, c'est que je n'ai pas de quoi m'ennuyer dans les années à venir.
Merci d'avoir accepter de répondre à toutes mes questions et je vous souhaite une longue et prolifique contribution à la bande dessinée de qualité.


La maquette de la tombe de Toutankhamon (Jacques Martin-rafaël Moralès/L'instant Durable).