Valérie Mangin": Je compte bien développer la vie privée d'Alix!"
Raymond Larpin, le webmaster du forum Alix a questionné Valérie Mangin et Thierry Démarez, pour la sortie du nouvel Alix Senator.
Pour cette première partie , c'est Valérie Mangin qui répond aux questions de Raymond Larpin.
Valérie Mangin par Denis Bajram
Je commencerai par vous adresser un immense merci pour votre idée de faire vieillir Alix. Cette initiative relance astucieusement la série, et elle élargit l'univers du personnage. Mais au fait : a t-il été si facile que cela d'imposer cette idée ?
Lorsque nous avons travaillé le concept initial avec mon mari Denis Bajram, nous étions quasiment persuadés qu’on était allés trop loin et que cela ne passerait pas. Mais Reynold Leclercq, éditeur chez Casterman, à qui elle a été présentée en premier a été séduit d’emblée. A son tour, il s’est demandé comment allait réagir le « comité Martin » (Frédérique et Bruno Martin, Simon Casterman et Jimmy Vanden Hautte) qui veille sur l’œuvre du créateur d’Alix. Or, eux aussi ont été immédiatement intéressés. Ils ont tout accepté : concept d’un Alix de 50 ans devenu sénateur, scénario des premiers tomes, dessin réaliste… Nous ne les remercierons jamais assez pour leur ouverture d’esprit et de leur soutien constant.
Photo :Librairie Brüsel
Les films qui racontent des histoires de l'Antiquité sont souvent qualifiés de" péplums" (j'adore d'ailleurs ce genre de film), et on utilise aussi ce mot pour certaines BD ! Acceptez-vous volontiers ce terme pour Alix Senator, ou avez-vous l'ambition de faire bien mieux que cela ?
J’accepte tout à fait qu’on parle de « peplum » pour Alix Senator. Pour moi, ce terme marque juste l’appartenance à un genre. Il n’est pas péjoratif. Le peplum n’est ni bon ni mauvais en soi. Il y a juste des bons et des mauvais peplums. J’espère juste qu’Alix Senator sera un bon peplum (et plus si affinité).
Toujours par rapport aux péplums, êtes-vous amatrice de ce genre de films, ou de romans historiques ? Y a t-il des titres que vous avez particulièrement appréciés ?
Oui, j’adore les peplums depuis mon enfance. Récemment, j’ai beaucoup aimé la série Rome. Elle donne une vision très moderne, même si elle comporte quelques erreurs, de la période césarienne. Dans un style très différent, j’ai également bien apprécié Agora, le film d’Amenabar sur la philosophe d’Alexandrie Hypatie. Il montre bien que le peplum est un genre multiple, apte à aborder tous les thèmes même les plus philosophiques comme, ici, les rapports entre la science et la religion.
Beaucoup de bandes dessinées historiques sont publiées de nos jours, et je me demande comment vous les voyez en tant qu'historienne. Y en a t-il que vous jugez particulièrement remarquables ? Quelles sont vos préférences ?
Voilà une question piège ! Alors je vais jouer mon joker. Je ne vais pas pouvoir parler de tout le monde dans ma réponse et tous les collègues que je ne citerai pas risquent de croire que je n’apprécie pas leur travail. Je préfère éviter ce genre de malentendu.
Le premier album d'Alix Senator a rencontré un succès certain. Est-ce que cela permet d'envisager un peu plus qu'une minisérie de trois albums ? Souhaitez-vous continuer ensuite la série ?
Oui et oui. Après le succès à la fois critique et public rencontré par le tome 1, continuer Alix Senator est vite devenue une évidence, pour notre plus grand plaisir à Thierry et à moi. Je travaille déjà aux tomes 4 à 6 .
J'imagine qu'il y a une sorte de "cahier des charges", pour que les aventures d'Alix restent cohérentes avec la série principale. Est-ce que cela freine l'élaboration de vos scénarios ? Y a t-il des idées que vous n'osez pas utiliser ?
En fait, Jacques Martin n’a jamais envisagé de série parallèle à Alix. Il n’a pas laissé d’instructions. Tout est donc ouvert pour Thierry et moi. Mais, bien sûr, nous respectons tout ce qui a déjà été écrit et nous nous efforçons de rester cohérents avec la série classique. Cela ne me freine aucunement. Je connais bien Alix et je prends naturellement en compte tout ce qu’on sait déjà de lui. J’ai même constitué une base de donnée informatique sur l’univers d’Alix sans ce sens. Mais, comme Alix Senator doit pouvoir être lu par un quelqu’un qui ne connaîtrait pas la jeunesse du personnage, je veille à ce que les références à l’Alix classique ne soient jamais nécessaires à la compréhension de l’intrigue d’Alix Senator.
Côté idées, il n’y en a aucune que je n’ose pas utiliser : simplement, je me suis donné comme préalable de respecter l’esprit dans lequel Jacques Martin a écrit ses albums. Je rejette donc par principe ce qui n’aurait pas sa place dans une bande dessinée tout public centrée sur l’aventure mystérieuse et la découverte de l’Antiquité romaine. La violence gratuite et le sexe explicite en sont les meilleurs exemples.
En fait, la reprise d'un personnage que vous n'avez pas créé implique un certain nombre de contraintes. Est-ce que c'est pénible, ou au contraire est-ce que cela vous stimule ?
Disons que ça me stimule parce que c’est pénible. Je n’aime pas la facilité. C’est sans doute pour ça que je ne traite jamais deux fois le même sujet et que j’essaie de varier au maximum la forme de mes albums. Succéder à Jacques Martin, respecter son œuvre tout en l’actualisant a été un vrai défi pour moi. J’avais bien conscience que c’était très dangereux, mais c’était d’autant plus excitant.
Parlons un peu de votre technique de travail ! Combien de temps mettez-vous à rédiger un scénario d'Alix Senator ? Est-ce que la recherche de documentation est très longue ? Quelles sont pour vous les principales étapes de cette rédaction ?
Au départ de tous mes scénarios, il y a une idée ou un concept que j’espère fort : Auguste est menacé par des aigles, symboles même de Rome par exemple. Je le développe ensuite en un synopsis, un résumé du futur album, aussi précis que possible. Il fait de 4 à 9 pages et comporte l’intrigue définitive et les principaux dialogues. Je discute beaucoup avec mon mari, Denis Bajram, pendant cette phase, c’est pratique d’avoir un premier lecteur fin connaisseur des techniques de scénario comme lui. Quand j’en suis satisfaite, je le montre à Thierry Démarez pour avoir son avis et, s’il est d’accord, je l’envoie à Reynold Leclercq qui le lit et le transmet au comité Martin. S’ils acceptent mon histoire – cela a toujours été le cas jusqu’à maintenant -, je tiens compte de leurs remarques et je passe à l’étape suivante, le scénario proprement dit, le découpage des pages en cases dialoguées. J’aurais beaucoup de mal à dire combien de temps cela me prend car ce n’est pas un travail continu. J’alterne avec d’autres projets et je ne compte pas mon temps. Parfois, tout va très vite. A d’autres moments au contraire, je suis bloquée et je dois passer à autre chose pour prendre un peu de recul.
La recherche documentaire prend aussi un temps très variable. Rome et l’époque d’Auguste sont très bien documentées heureusement. Mais le plus dur dans ce domaine revient à Thierry qui s’est efforcé d’être le plus fidèle possible dans ses visuels: il est plus compliqué de trouver des modèles de serrures antiques que des anecdotes sur la vie des grands aristocrates romains.
Vous venez de publier votre huitième album avec Thierry Démarez, et j'imagine que les choses sont devenues plus simples. Lui laissez vous une certaine liberté pour l'organisation de la mise en page, ou pour la mise en scène des personnages à l'intérieur des cases.
Oui, Thierry et moi nous connaissons bien et nous travaillons en confiance. Je suis ouverte à toutes les modifications formelles, tant que la lisibilité et la cohérence de l’album sont respectées. Mais Thierry est très respectueux de mon travail. Il ne modifie mon découpage que pour apporter de réels plus aux pages, les rendre plus claires ou plus spectaculaires.
Comment lui transmettez-vous le scénario ? Est-ce que vous faites des petits croquis, comme par exemple Raoul Cauvin, ou vous expliquez-vous avec du texte, à la manière de Goscinny ?
Je ne sais pas dessiner malheureusement. J’envoie un découpage écrit comme Goscinny. Je décris les décors, les personnages, les ambiances. Thierry en tire un story-board, un brouillon de la future page, qui sert de base à nos discussions.
Le vieillissement d'Alix permet de découvrir l'époque d'Auguste, et le début de l'âge d'or de l'Empire romain ? Pourriez-vous envisager d'inclure des petites séquences didactiques au sein du récit, comme le faisait Jacques Martin, ou de présenter les grandes réalisations architecturales ou artistiques de cette époque ?
Non, il n’y aura jamais de telles séquences didactiques dans Alix Senator. Je préfère ne pas arrêter le récit, laisser le lecteur profiter pleinement de l’aventure. S’il s’intéresse à l’Histoire, il peut lire les cahiers supplémentaires des éditions premium des albums et surtout aller sur le site alixsenator.com. J’y ai commencé une encyclopédie de l’univers de la série. On peut y trouver des explications sur les principaux personnages, les événements emblématiques… Bref, tout ce qu’il faut pour distinguer l’Histoire de la fiction dans les albums.La personnalité d'Auguste reste plutôt ambigüe, et ses actes ont été interprétés de divers manières. Dans Alix Senator, on vous devine partagée entre le scepticisme et l'admiration ? Quel est le sentiment qui l'emporte, en définitive ?
J’admire l’œuvre d’Auguste, le fait qu’il ait mis fin aux guerres civiles et doté l’État romain d’un système politique, administratif et militaire qui lui survivra plusieurs centaines d’années. Mais, bien sûr, je désapprouve totalement la dérive autoritaire de l’empereur. Je suis contre tout pouvoir autocratique.
Alix est devenu un père, et j'imagine aussi un mari. Développerez une fois un peu plus les aspects privés de la vie d'Alix, comme le faisait par exemple Hal Foster avec son Prince Vaillant (je ne peux pas m'empêcher de penser que la série va continuer longtemps) ?
Mais je n’ai jamais dit qu’Alix avait été marié… Bon, je n’ai jamais dit non plus qu’il ne l’avait pas été. J’ai évidemment écrit ce qui lui est arrivé entre Alix classique et Alix Senator, mais cela reste, pour l’instant, un secret bien gardé ! En tout cas, je compte bien développer sa vie privée. Cela me semble un aspect important des héros actuels. Alix devenu sénateur est plus humain que dans sa jeunesse. Il laisse plus de place aux sentiments et aux émotions.
Alix a presque toujours été réservé avec les femmes. Allez vous lui garder ce trait de caractère ? Va t-il un jour s'attendrir en face de la gent féminine ?
Il s’est déjà attendri : il a un fils, Titus. Pour le reste, vous verrez bien.
Dans ce nouvel album, je sais que nous allons retrouver Enak ? Reverrons-nous une fois d'autres personnages secondaires, comme par exemple Heraklion ?
Bien sûr, mais ne comptez pas sur moi pour vous dire lesquel.
A la suite d'Alix Senator, on pourrait imaginer d'autres "spin off", comme par exemple les aventures d'Enak en Egypte, ou les aventures de Titus devenu plus âgé. Cette idée a t-elle déjà été discutée ?
Non, pour l’instant, il n’est pas question de nouvelles séries. Mais, tout est ouvert effectivement.
Parlons un peu d'Abymes, qui est votre grande réalisation de l'année ! C'est la première fois, si je ne me trompe, que vous utilisez l'humour et l'autodérision, dans une BD. Qu'est-ce qui vous a poussé à composer ce genre de livre ?
J’aime beaucoup varier mes productions et tenter des expériences inédites. Les « premières fois » sont toujours celles qui me tentent le plus. Et puis, je n’allais pas parler de moi trop sérieusement quand même
Dans les années à venir, allez-vous continuer à développer des projets d'auteur dans une collection comme Aire Libre, ou allez-vous plutôt vous consacrer à vos séries en cours comme Alix, Luxley et les Chroniques de l'Antiquité Galactique ?
Je préférerais alterner séries grand public et projets plus pointus. J’ai beaucoup de plaisir à écrire les deux. Luxley est à présent terminé et les Chroniques à l’arrêt mais j’espère continuer longtemps Alix Senator. J’ai aussi plusieurs dyptiques de science-fiction qui doivent sortir l’an prochain : Expérience Mort en co-scénario avec Denis Bajram et avec Jean-Michel Ponzio au dessin et Rayons pour Sidar, adapté du roman éponyme de Steffan Wul, dans la collection dirigée par Olivier Vatine, avec Emmanuel Civiello au dessin. Mes autres projets n’en sont encore qu’au stade du développement mais je pourrai sans doute vous en parler bientôt.
Nous vous remercions d'avoir accepté de répondre à toutes ces questions et nous vous souhaitons bons vents pour cet excellent album.